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Sujet II : Commentaire littéraire |
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VEILLEE D'AVRIL
Il doit être minuit. Minuit moins cinq. On dort.
Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves,
Et moi, las de subir mes vieux remords sans trêves,
Je tords mon cœur pour qu'il s'égoutte en rimes d'or.
Et voilà qu'à songer me revient un accord,
Un air bête d'antan, et sans bruit tu te lèves
Ô menuet, toujours plus gai, des heures brèves
Où j'étais simple et pur, et doux, croyant encor.
Et j'ai posé ma plume. Et je fouille ma vie
D'innocence et d'amour pour jamais défleurie,
Et je reste longtemps, sur ma page accoudé,
Perdu dans le pourquoi des choses de la terre,
Écoutant vaguement dans la nuit solitaire
Le roulement impur d'un vieux fiacre(1) attardé.
Jules LAFORGUE, Premiers poèmes, 1878-1880
(1) Fiacre : voiture à cheval
QUESTIONS (4 points)
1. Expliquez l'image que développe le vers 4. (2 points)
2. Relevez deux exemples d'oppositions dans ce poème. En quoi vous paraissent-elles significatives ? (2 points)
COMMENTAIRE COMPOSE (16 points)
Vous ferez de ce texte un commentaire composé.
I - LA FICHE SIGNALETIQUE
Le choix du texte est sans surprise particulière : un sonnet écrit par un poète du XIXe siècle. Les questions sont, elles, très simples : la première demande juste un peu d'esprit d'analyse ; la deuxième demande que le candidat sache repérer des figures de style courantes, ce qui normalement a été fait tout au long de l'année.
II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR
Le texte n'est cependant pas très
simple, puisqu'il utilise un vocabulaire abstrait ("remords",
innocence", "amour", "le pourquoi des choses de la
terre") et fait référence à une sorte de moment métaphysique, le poète
s'interrogeant en effet sur le sens de sa propre vie.
Même ceux qui ne connaissent pas Laforgue ont sans doute eu des poèmes de
Baudelaire ou de Nerval dont l'atmosphère est proche.
III - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET
A) QUESTIONS
1 - "Je tords mon cœur pour qu'il s'égoutte en rimes d'or"
Le vers 4 compare le cœur à une étoffe
humide que l'on tord pour extraire le liquide dont il est imprégné. Les rimes
(métonymie pour les vers) sont comparées à un liquide. Ce qui revient à
comparer les vers au sang du poète.
Le complément "d'or" est intéressant car l'or est une matière
solide. Cela revient à comparer le poète à un orfèvre qui travaille ses vers
comme des joyaux.
La comparaison est d'autant plus pertinente que les mots et la forme du vers fixent l'expérience humaine, les sentiments, qui sont par nature changeants, mobiles comme des fluides.
2 - Différentes oppositions parcourent ce sonnet :
Cette même opposition trouve sa justification dans un élément autobiographique : la perte de la foi. Dans sa jeunesse le "je" est présenté comme "croyant, encor". Dans le présent de l'énonciation il n'est plus guidé par la foi, il est "perdu dans le pourquoi des choses."
B) COMMENTAIRE
On pourra attendre différents plans sur
un tel sonnet :
Celui que beaucoup pourront avoir choisi consiste à étudier d'abord les
circonstances qui évoquent un moment de création poétique, puis la remontée
du souvenir, enfin la réflexion sur le sens de la vie qui appelle le poème.
Première partie :
Le sonnet porte un titre "Veillée
d'avril". C'est sans doute une date qui donne au poème une dimension
autobiographique. Mais cela évoque aussi le printemps, qui appelle des images
de renouveau, de bonheur. L'attente du lecteur va donc être déçue.
L'heure "minuit" est propice à la réflexion "je tords mon cœur",
et à la méditation sur des questions essentielles : "le pourquoi des
choses".
Le lieu, une table de travail sur laquelle le je est "accoudé", où
il a "posé sa plume" donne les quelques éléments d'un tableau,
d'inspiration romantique, qui représenterait un poète, à sa table, perdu dans
ses pensées, presque souffrant. Un bruit venu de l'extérieur complète le
tableau par une notation sonore, métaphore de la douleur du "je" :
"Le roulement impur d'un vieux fiacre". Le cliché de l'heure est
souligné par le caractère prosaïque et banal du premier vers, et la répétition
du mot "minuit". C'est du langage courant. On fera la même remarque
pour "et j'ai posé ma plume" ainsi que la répétition de la
conjonction "et".
Deuxième partie :
On montrera comment ce moment est propice à la remontée de souvenirs heureux et empreints de nostalgie. Il s'agit d'abord du "menuet" avec lequel Laforgue semble prendre ses distances puisqu'il le qualifie ironiquement de "niais". La jeunesse est caractérisée par une série de trois adjectifs "simple et pur, et doux", ces adjectifs sont eux aussi empreints d'une ironie amère, et les accents du v. 8 (5/1//2/4) lui donnent un rythme un peu boiteux. L'apostrophe "O menuet" est emphatique et contraste avec le vers qui suit. L'évocation de la jeunesse heureuse est pour ainsi dire contaminée par l'amertume du présent. Le fait que le "menuet" se lève "sans bruit" est au premier abord paradoxal. Cependant, c'est aussi une manière d'insister sur la perte du bonheur et sur l'impuissance du "je" qui rêverait de revivre le bonheur passé.
L'impuissance ne laisse place qu'à la réflexion métaphysique, au doute ("le pourquoi des choses"). L'alexandrin rythmé (2/4//2/4) est un beau tétramètre qui souligne cette envolée vers la méditation. L'opposition entre le "pur" qui qualifie le bonheur de l'enfance et "l'impur" du présent de la création reflète le travail de création. En effet, la forme du sonnet, ici parfaitement classique, représente un idéal de perfection formelle, de même que le "menuet". Comme si le passage à l'écriture, la recherche des "rimes d'or" dans ce vers qui rime avec "accord", c'est-à-dire l'harmonie, permettait à la douleur du poète de se sublimer.
IV - LES FAUSSES PISTES
Ce sonnet ne comportait aucune difficulté
de compréhension majeure.
On pardonnera aux élèves qui n'auront pas compris l'évocation de la foi
perdue.
Il fallait surtout ne pas oublier qu'il s'agissait d'un sonnet. Il fallait donc
être sensible aux images, aux rimes, aux mètres.